L’Eveil aux langues
une approche efficace pour l’inclusion des sourds en contexte inclusif
En milieu scolaire, la diversité est définie comme étant « la présence de différences entre les membres dans une entité sociale » (Jackson, May & Whitney, 1995). A la base de cette variété, se dégagent des caractéristiques telles que : le sexe, la nationalité ou le groupe ethnique/culturel, l’âge ou le handicap. En contexte inclusif, cette notion de diversité censée être source de richesse peut se transformer en inégalité et disparité entre une minorité porteuse de handicap défavorisée et une majorité dite valide favorisée. Dans ce sens, le brassage permanent entre la diversité biologique et la diversité linguistique, culturelle, pédagogique et sociale, saisie à travers les pratiques techniques et les usages sociaux, génère la notion de complexité facteur d’inégalité. Autrement dit, dans un contexte scolaire inclusif, il n’est guère facile de gérer une telle diversité linguistique, culturelle, sociale et pédagogique. Eu égard à ce constat, comment l’éveil aux langues pourrait-il contenir ces formes de diversité, réduire les formes de stigmatisation et protéger les élèves aux profils différents et complexes ?
À travers cet article introductif, nous allons nous pencher sur le cadre notionnel de l’éveil aux langues, et nous allons ensuite montrer son apport en matière d’inclusion des enfants sourds en contexte inclusif.
- Cadre notionnel de l’Éveil aux langues
L’éveil aux langues est une approche plurilingue de l’apprentissage des langues. Ce concept « Language awareness » est apparu en 1980, avec le célèbre sociolinguiste Eric Hawkins, puis il s’est développé en Europe et plus précisément en Suisse et en France. D’après (Candelier : 2003) cette approche s’assigne pour objectif de :
- Développer des représentations et attitudes positives en milieu scolaire (ouverture à la diversité, tolérance et vivre ensemble) ;
- Développer les aptitudes d’ordre métalinguistique, communicatif et cognitif facilitant l’accès à la langue (transformer la confrontation en co-construction et interaction) ;
- Construire une communauté scolaire linguistiquement solidaire et culturellement soudée.
- L’apport de l’Éveil aux langues en matière d’inclusion des sourds
Parler de l’inclusion et du vivre ensemble au sein des classes inclusives, nous incite à réfléchir sur divers paramètres à envisager pour réussir ce pari .Ces paramètres nous permettent de comprendre les composantes de l’hétérogénéité complexe : le type de handicap, les besoins non assouvis à interpeler, et les approches et dimensions interactives à sélectionner.
Dans ce sens, l’éveil aux langues est une meilleure réponse pour l’inclusion des enfants sourds. Elle est purement langagière et didactique et semble beaucoup servir le handicap en permettant à l’apprenant sourd de puiser de son répertoire linguistique, de valoriser sa langue maternelle et de se situer dans la diversité constitutive de l’espace langagier (Perrégaux, 1995). Elle semble être aussi un atout important pour travailler la différence (De Pietro et Mattey, 2001) dans toutes ses dimensions cognitives, affectives et sociales.
Dans l’espace classe, pour favoriser l’Éveil aux langues, l’enseignant propose une panoplie de tâches et d’activités où l’élève observe, manipule et compare différentes langues. Il est soutenu dans sa réflexion sur la langue afin de lui permettre de mieux en comprendre le fonctionnement. Ainsi, les élèves apprennent à développer une curiosité à l’égard des langues et à mobiliser leurs connaissances langagières pour les transférer d’une langue à l’autre. L’encadré n°1 est un exemple illustrant le déroulement d’une activité portant sur l’intercompréhension entre sourds et entendants.
L’enseignant propose une affiche en français collée au tableau (sur les dangers et effets nuisibles de la cigarette: Toux – poumons atteints-difficultés de respiration…) et demande aux apprenants de la dramatiser en langue des signes et de l’exprimer ensuite dans d’autres langues.
Les élèves sont invités à observer à comparer et apprendre à conquérir le l’unité linguistique de l’autre. L’enseignant reçoit les commentaires des apprenants et dégage avec eux des règles concernant la structure de la phrase à l’oral.
Ex / En Français : Sujet + Verbe + Complément
Ex/ En LSF : Temps + Lieu + Sujet + Action.
Autrement dit, un échange entre apprenants pourrait aiguiser leur curiosité à l’égard des langues et mobiliser leurs intelligences langagières pour les transférer d’une langue à l’autre.
A cet égard, la construction d’un tel dispositif pédagogique en commun via des taches et activités stimule cette inclusion en la rendant réelle et concrète.
Conclusion :
Les études en didactique des langues ont montré le lien fort et étroit entre l éveil aux langues et l’éducation inclusive. D’un coté, les deux approches se partagent les mêmes finalités et d’un autre, elles servent la diversité en procédant par des entrées différentes. L’éducation inclusive agit de l’extérieur et part du principe du handicap qu’il faudrait se représenter positivement et les pratiques inclusives à améliorer en s’appuyant sur des recommandations pédagogiques, philosophiques et morales. L’éveil aux langues procède de l’intérieur en se servant de la langue de tous les apprenants comme outil et vecteur d’inclusion de tous les apprenants sans exception.
Notre expérience depuis quelques années avec cette approche a confirmé ces conclusions et nous permet d’affirmer que les résultats probants de l’approche sont un signal d’espoir encourageant aussi bien pour l’enseignant qui voit ses élèves progresser ensemble, que pour l’élève sourd qui se voit accepté, écouté et compris par le groupe. Ceci dit, l’approche d’éveil aux langues nécessite encore, à notre avis, plus de recherches dans le sens d’une instrumentation des outils d’actions et une standardisation des méthodes.
Bibliographie :
- CANDELIER .M. (2003), « L’éveil aux langues à l’école primaire », Bruxelles, Deboeck.
- De PIETRO.J.-F. et MATTHEY.M. (2001) «L’éveil aux langues: des outils pour travailler la différence». Langage & pratiques. 28, 31-44.
- HAWKINS, E. (1985). « Awareness of Language, réflexion sur les langues, Les Langues Modernes 6, pp. 9-23 ».
- JACKSON, MAY& WHITNEY(1995). « La gestion de la diversité dans les entreprises et les organisations, p.217 ».
- PERREGAUX,C.(2001).Intégration set Migrations: regards pluridisciplinaire .Paris l’Harmattan
Lhassan OUAZZA, Doctorant à l’université Ibn Tofail (Kenitra, Maroc)
Laboratoire langage et société, encadré par Pr : Jamila BELLAMQADDAM